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Les profils neurodivergents et atypiques ne sont ni rares ni nouveaux. Hypersensibles, TDAH, HPI, multipotentiels, intuitifs, profils à haute intensité émotionnelle ou sensorielle ont toujours existé. Ce qui n’a pas évolué au même rythme, en revanche, c’est le regard posé sur eux. Ils continuent d’être perçus à travers des grilles de lecture inadaptées, pensées pour des fonctionnements standards, linéaires, modérés. Cette inadéquation crée de l’incompréhension, de la souffrance et, trop souvent, des erreurs d’accompagnement.
Dès l’enfance, ces personnes entendent qu’elles sont « trop ». Trop sensibles, trop intenses, trop fatiguées, trop réactives, trop dans leur tête. Leur manière de percevoir le monde dérange parce qu’elle échappe aux normes. Pourtant, ce fonctionnement n’est pas excessif. Il est différent. Leur système nerveux capte plus d’informations, plus vite, plus profondément. Leur cerveau traite, anticipe, analyse en continu. Cette hyper-perception n’est pas un défaut, mais elle a un coût lorsqu’elle évolue dans des environnements qui ne la respectent pas.
Le premier malentendu majeur consiste à confondre intensité et pathologie. Lorsqu’un profil atypique présente de la fatigue chronique, de l’anxiété, des douleurs diffuses ou une hypersensibilité émotionnelle, on cherche rapidement à poser une étiquette. On parle de trouble, de fragilité, parfois de somatisation. Or, dans de nombreux cas, il ne s’agit pas d’un dysfonctionnement, mais d’un système nerveux saturé par des années de suradaptation, de surcharge sensorielle et d’efforts constants pour entrer dans un moule qui ne lui correspond pas.
La médecine, malgré ses avancées, reste souvent démunie face à ces profils. Elle excelle dans le traitement de l’aigu et du mesurable, mais se montre beaucoup plus maladroite lorsqu’il s’agit de fonctionnements complexes, transversaux, sensibles. Les examens reviennent fréquemment normaux, tandis que la souffrance persiste. Le corps parle, mais son langage n’est pas entendu. On traite les symptômes sans comprendre le terrain. On médicalise parfois ce qui relève avant tout d’un déséquilibre neuro-émotionnel profond.
Le corps des profils atypiques n’est pas un ennemi. Il est un messager. Les douleurs, la fatigue, les tensions chroniques sont souvent des signaux d’alerte liés à une surcharge prolongée du système nerveux. Ignorer ce lien revient à passer à côté de l’essentiel. Chez ces personnes, le corps réagit vite, fort et de manière cohérente avec ce qu’elles vivent intérieurement.
L’accompagnement psychologique, lui aussi, montre ses limites lorsqu’il n’est pas adapté à ce type de fonctionnement. La psychanalyse, notamment, repose sur des cadres théoriques, des interprétations symboliques et un travail principalement mental. Or, les profils neurodivergents ne souffrent pas uniquement de conflits psychiques à analyser. Ils vivent une expérience incarnée, neurologique, sensorielle. Lorsqu’un accompagnant n’a jamais traversé lui-même l’hypersensibilité, l’épuisement neurologique, la surcharge permanente ou la douleur liée à l’hyper-adaptation, il peut entendre le récit sans en saisir pleinement la réalité intérieure. Il comprend intellectuellement, mais ne perçoit pas toujours la justesse du niveau d’intensité décrit.
Dans ces conditions, l’analyse seule peut devenir insuffisante, voire contre-productive. Parler pendant des années de son passé n’aide pas nécessairement à réguler un système nerveux suractivé. Cela peut même renforcer la rumination et l’épuisement cognitif. Ces profils ont besoin d’approches incarnées, concrètes, qui tiennent compte du lien étroit entre le cerveau, les émotions et le corps. Ils ont besoin d’être compris de l’intérieur, pas uniquement interprétés.
Lorsqu’une personne a elle-même traversé ces états, la reconnaissance est immédiate. Elle ne repose pas sur des concepts, mais sur une résonance profonde. Cette reconnaissance change tout. Elle permet de sortir du doute, de la culpabilité, du sentiment d’être défaillant. Elle ouvre la voie à une transformation réelle, fondée sur la compréhension fine de son propre fonctionnement.
La neurodivergence n’est pas un problème à corriger. C’est une intelligence différente à apprivoiser. Lorsqu’un profil atypique comprend comment fonctionne son système nerveux, pourquoi il s’épuise, comment se protéger sans se couper du monde et comment transformer son intensité en lucidité, en créativité et en force, alors le regard sur soi change radicalement.
C’est ce changement de regard qui manque encore cruellement aujourd’hui, tant dans la société que dans le champ médical. Il est temps de cesser de pathologiser ce qui relève d’une autre architecture intérieure. Les profils atypiques ne sont pas fragiles. Ils sont finement câblés. Encore faut-il apprendre à lire le bon mode d’emploi.
Auteur : Frédérique Shine

